Après Alabama Song et Zola Jackson, Gilles Leroy revient avec un autre portrait de femme. Et quelle femme!
Vous en rêviez? Non?!?
Moi, j'en rêvais**. Il l'a fait! Il l'a fait magnifiquement.
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Gilles Leroy ne fait pas une biographie (l'étiquette générique "roman" -pour la transparence- est inscrite dans le titre, et non pas placée en-dessous), il donne à voir ce personnage insaisissable qu'était Nina Simone :
"Je suis un être à éclipses. Qui ne se laisse pas figer dans un rôle. Ma mémoire aussi est à éclipses."
Comme sur le mur où sont groupées les photographies qui rappellent les moments forts de cette longue vie - certaines périodes brillent par leur absence de clichés.
"Soudain, elle porte une alliance et un nourrisson dans ses bras. Un homme de belle stature, peau café au lait et fine moustache, regarde avec insistance la jeune mariée et le bébé dans ses langes.
Ca dure à peine cinq photos sur le mur.
Puis l'homme disparait et l'alliance avec lui."
Un portrait en creux parfois, donc. Et sur la musique, aussi : "Je ne fais pas du gospel, je ne fais pas du folk, je ne fais pas
du swing, je ne fais pas du blues, je ne fais pas de la pop, et je ne fais surtout pas de jazz. J'invente la musique classique noire."Image may be NSFW.
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Par bribes, donc, nous découvrons la vie riche et tortueuse d'Eunice Kathleen Waymon, alias Nina Simone, qui pendant cinquante ans de carrière d'ombres et de lumières, traverse la musique ou plutôt les musiques. Nous découvrons ses combats (droits civiques, droits d'auteur), sa mythologie (parts d'ombres et de lumières), sa géographie (son déracinement, elle est nulle part chez elle). Lorsque le roman s'ouvre, elle vit dans le sud de la France où elle mourra en 2003. Elle n'a jamais oublié la blessure originelle : le refus du prestigieux Institut Curtis de l'intégrer (à cause de sa couleur, insistera-t-elle, tout au long de sa vie), a presque oublié son identité.
" 'Eunice, c'était mon vrai nom. Maintenant je l'ai presque oublié. Cinquante années passées dans la peau de Nina Simone m'ont fait oublier mon nom. Et c'est une drôle de chose, à la fin, que de devoir porter un nom qui n'a jamais été le sien. Pour vivre un destin qui n'était pas le sien.' "
Et c'est ce qu'il y a de plus terrible peut-être dans ce destin : de la voir se plier aux diktats de ses producteurs, manger et de son public qui réclame My baby just cares for me. Who cares for her? La solitude de Nina Simone, la solitude de l'élève suroudée au piano qui passera sa jeunesse devant un clavier, répétant des heures et des heures. Adulée et seule, parfois oubliée et seule, spoliée et seule. Oh, des hommes elle en a eu... mais là encore...
"Les hommes... Les hommes ne m'ont rien valu. Et pourtant je ne sais pas être heureuse sans homme. Je leur abandonne si
facilement les rênes... comme si je voulais être déchargée de la responsabilité d'être moi."
Gilles Leroy évoque habilement la maladie que Nina tente de cacher comme elle le peut. Nina qui ne veut pas se contenter d'être bipolaire mais "multipolaire"!
Gilles Leroy n'est pas un portraitiste grossier, il travaille par touches, par couches, utilisant la voix de Nina ou le point de vue de ce domestique qui offre parfois un contrepoint à Nina à laquelle il s'attache, qui le fascine mais qui lui fait peur (le petit mot awe, en anglais, contient tout ça). Pour lui, comme pour nous, Eunice Kathleen Waymon est Dr Nina et Miss Simone.
Quelle vie! Quelle Grande Dame! Quel roman!
A écouter ABSOLUMENT :Image may be NSFW.
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I loves you, Porgy : (les applaudissements : "I need it, give it to me" + la petite histoire)
http://www.youtube.com/watch?v=v1TKfqSdEtQ
Et l'autre monument de Nina, Little girl blue (également sur le premier album):
http://www.youtube.com/watch?v=wT_Z-D31vbU
Epique : (Sinnerman)
http://www.youtube.com/watch?v=acxdx4-nVxI
Live :
- Londres, 1985 : http://www.youtube.com/watch?v=cNCnWbrPdls
- Varsovie, 1997 : http://www.youtube.com/watch?v=q3HdTRqpCOc
Documentaire parfois très intime, avec des extraits de concert et des interviews :
http://www.youtube.com/watch?v=_frFl9WQUzo
"If I had my way, I woud have been a killer."
Bob Dylan, Ballad of Hollis Brown :
http://www.youtube.com/watch?v=AsyQzLauhqI
Leonard Cohen, Suzanne :
http://www.youtube.com/watch?v=AsyQzLauhqI
David Bowie, Wild is the wind :
http://www.youtube.com/watch?v=AsyQzLauhqI
Signé Stéphane
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A écouter :
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* En référence à l'état de naissance de Nina et au titre de Leroy.
J'avais pensé à Young, gifted and black ou Four Women... ou à cette phrase, terrible, de la grande Nina, prononcée calmement lors d'une interview, sur la violence et le racisme dans le Sud : "If I had my way, I woud have been a killer." Elle ne plaisantait pas. Vraiment pas.
** Allez, avouons-le : Nina Simone est la chanteuse dont je possède le plus grand nombre de disques... juste après Rickie Lee Jones. Une bonne trentaine de CDs.
On peut commencer par le coffret des années Philips, ICI, ou le coffret RCA, ICI